« Nos animaux familiers sont des anges déguisés venus sur terre pour nous apprendre la douceur. »
LA TYRANNIE DE LA RACE PURE
LA TYRANNIE DE LA RACE PURE, LE MONOPOLE DU CHIEN DE RACE
AUDREY VENTURA – CYNOCONSULT
Coach individuel en comportement canin et humain.
(Ré)-Éducatrice.
>> Auteure du livre « Le chien, cet animal qui nous échappe »
>>> Auteure du livre « Mon chien, mon coach et moi »
>>> Administratrice de la page Facebook Cynoconsult
*** LA TYRANNIE DE LA RACE PURE, LE MONOPOLE DU CHIEN DE RACE *** RETROUVEZ DÉSORMAIS CET ARTICLE EN LECTURE AUDIO SUR LE PODCAST DE Cynoconsult « BON BAISER DU CHIEN » ! ici : https://www.podcastics.com/episode/236009/link/
« Race pure » ou « pure race », des expressions qui feraient presque froid dans le dos… Dans la vie, nous essayons tous, à notre petit niveau, de privilégier le naturel, le retour aux choses simples et souvent, évidentes. Notre façon de concevoir la relation au chien ne devrait pas être compliquée, et surtout, elle ne devrait s’attarder que sur l’essentiel. Privilégier le bien-être, le bons sens naturel, et la spontanéité. À bien y regarder, la vie et les expériences nous montrent que nous avons tout intérêt à suivre les lois animales et rustiques. Cependant, plus le temps passe et plus cette manière de concevoir les choses devient difficile dans le monde du chien, voire impossible, quand on souhaite ne pas entrer en contradiction avec son éthique personnelle. Le domaine le plus sensible, lorsque l’on est professionnel du comportement, reste celui de l’élevage. À quelques exceptions près, les particuliers renseignés en sont réduits à choisir l’éleveur et ses choix personnels, indépendamment de la race.
Pour pouvoir écrire ce sujet de fond qui concerne la sélection des races en France, des demandes écrites d’entretien ont été formulées auprès de la Société Centrale Canine, unique fédération autorisée par le Ministère de l’agriculture à décerner les pédigrée en France et à utiliser le terme de « race pure ». Afin de contrebalancer le propos de cet article, il était intéressant de recueillir le point de vue de cette Institution, en la personne de son président Alexandre Balzer. Trois messages expliquant la requête et son objectif ont donc été envoyés. Aucune réponse n’est parvenue malgré les relances. C’est donc à notre grand regret, sans la contribution de la SCC, que cet article a été rédigé.
>>> UNE ÉPINE DANS LA SÉLECTION
Il est inquiétant d’observer la tournure que la sélection a prise depuis longtemps en France, au vu et au su de tous. Professionnellement, il est devenu pénible de devoir accompagner les familles dans le choix d’une race dont on sait qu’elle est fragilisée, dont l’espérance de vie est de plus en plus courte, ou dont les comportements sont tellement hypertypés, qu’ils sont devenus ingérables. Souvent, ces familles ont la croyance très ancrée que parce qu’elles adoptent dans une lignée « beauté », alors les conduites liées au travail auront disparu. Et, tout en sachant que les chiens d’utilité sont de loin les plus robustes, et ceux dont l’intelligence est la plus grande (parce que le travail développe le chien), ces chiens-là ne sont pas à placer entre les mains de n’importe qui, et surtout pas n’importe où. Certains recherchent surtout l’esthétique d’une race (mais pas ses compétences). Or, c’est souvent une race mal produite, au potentiel génétique raréfié, à la santé bancale.
A ce jour, près de 600 maladies génétiques sont identifiées chez le chien de race, parmi lesquelles des maladies neurologiques, incluant les maladies sensorielles, comme les ataxies cérébelleuses, les rétinopathies ; des génodermatoses, comme l’ichtyose du golden retriever et la kératodermie naso-plantaire du dogue de bordeaux, des myopathies, comme la myopathie centronucléaire du labrador retriever, des cancers, comme des mélanomes ou des sarcomes histiocytaires dans plusieurs races. C’est un constat alarmant.
??? Quelles en sont les causes ???
Maud Lafon, rédactrice de la Dépêche Vétérinaire du mois de novembre 2014, écrit : « On peut s’interroger quand on sait que le champion toute catégorie de la Cruft 2003 est un pékinois opéré du voile du palais, qui a du être placé sur des glaçons pour pouvoir respirer et recevoir son prix ». Ici, elle tacle sans ménagement une sélection essentiellement basée sur la morphologie (expositions), et qui fait passer au second plan les critères de santé et de comportement. En effet, le chien doit être « beau », selon des critères établis par la tyrannie de « l’entre-soi ». Les chiens vendus sont « issus de champions ». Leur lignée ne travaille plus depuis longtemps. Champion de quoi ? « De beauté ». Le particulier pense alors qu’il va « posséder » une esthétique reconnue sur les podiums, sans les inconvénients des comportements de travail. Il croit pouvoir conserver l’intelligence innée du chien d’utilité dans une lignée qui ne travaille plus depuis des générations. Il pense qu’il obtiendra beauté, intelligence et santé, sans les exigences du chien. Le beurre et l’argent du beurre en somme. Et tout est fait pour que ces croyances perdurent. Or, toutes les races de chiens ayant été sélectionnées de manière ancestrale pour le travail avec l’homme (leur raison d’être), les comportements induits ne disparaîtront pas facilement. Probablement jamais.
Sous le gouvernement de Manuel Valls, un rapport édifiant commandé par le Ministre de l’agriculture mentionne que « l’effet fondateur lors de la création d’une race à partir de quelques reproducteurs, la politique d’utilisation massive d’étalons champions et le développement de l’insémination artificielle chez le chien ont pour conséquence une sur-représentation de certains gènes. Cette pratique peut entraîner la dissémination rapide de maladies héréditaires raciales lorsque les étalons choisis sont porteurs de mutations délétères récessives ». Ce même rapport déclare que « la Société Centrale Canine, sollicitée à plusieurs reprises, n’a jamais émis un appel d’offres pour soutenir financièrement la recherche de mutations causales dans ces domaines, au contraire du LOOF qui soutient la recherche en génétique féline ». Le rapport en question est public et figure parmi les sources de cet épisode. Libre à chacun d’en prendre connaissance.
Ainsi, essentiellement basés sur des concours de beauté, les parcours de sélection des reproducteurs n’ont pas pour objet principal de prendre en compte la qualité des générations à venir, comme c’est la règle pour d’autres espèces (index de performance et contrôle des reproducteurs bovins basés sur la descendance, etc..). Pour le chien de race, la base de sélection des chiens « LOFés », soit (chiffres du rapport à apprécier à la hausse), 200 000 naissances par an, concerne environ 3000 éleveurs, fait intervenir 55 sociétés canines territoriales, 110 clubs de race, 1200 clubs d’utilisation et 1482 experts-confirmateurs et juges de beauté et de travail, 1176 experts-confirmateurs et 306 juges, le tout sans aucun pilotage scientifique, la grande majorité de ces instances étant pilotés par des éleveurs amateurs et les experts-confirmateurs et juges n’ayant aucune réelle formation scientifique. Mais les lignées de « beauté » et/ou de « famille » qui concourent attirent et surtout, elles représentent une manne financière considérable, sur laquelle repose un système obsolète dont le maintien reste obscur en l’an 2023.
Primés en beauté, cocardés par des juges (qui aujourd’hui font les races bien plus que les éleveurs eux-mêmes), les chiens mâles « champions de beauté » sont reproduits à outrance, jusqu’à restreindre dangereusement le potentiel génétique de la race elle-même, et inexorablement, favoriser la consanguinité. Lorsque l’on veut du « pure race », il semble qu’il faille passer par ça, en dépit de tout le reste. Le chien « champion » a tellement fait de petits, que les éleveurs interrogés témoignent de leur grande difficulté à trouver du sang neuf. Alors, ils vont tous à l’étranger, pour y obtenir une saillie des mêmes « mâles champions », et revenir en France avec leurs femelles gestantes. On tourne en rond. Le chien domestique de race se porte mal, et nous sommes fiers de continuer à produire des chiens « beaux », « issus de champions », « loffés » et confirmés par la SCC, mais consanguins, potentiellement malades, ou totalement instables psychologiquement.
Ces derniers années, beaucoup trop de chiens de race éduqués ou rééduqués chez nous, issus d’élevage inscrits au sacro-saint LOF, élevages dits de « famille » ou de « beauté », sont morts à l’âge de 3, 4, 6 ou 7 ans. Pire qu’une hécatombe, un non-sens. La normalité, c’est qu’un chien naisse et vive longtemps, en bonne santé mentale et physique, et qu’il soit reproduit pour ça, et uniquement pour ça. Or, nos chiens de race s’éteignent de plus en plus jeunes, en dépit de la liste interminable de tests de santé imposés aux éleveurs par la SCC. Les races ont perdu la santé et la rusticité qui était leur fer de lance. C’est un constat qui repose sur des faits. Sont en cause les expositions, concours, shows de beauté qui favorisent la reproduction de chiens pour de très mauvaises raisons.
Bouvier bernois, cavalier King Charles, bouledogue français, boxer, lévrier, cane corso, labrador, golden retriever, dalmatien, setter irlandais, etc… La liste est vraiment très longue. Le chien d’agrément, de compagnie, de famille, de concours, sélectionné sur des critères esthétiques, privé de travail et de rusticité depuis des générations, est devenu fragile. Mais c’est devenu la norme, et c’est révoltant. Il est d’ailleurs intéressant de constater que lorsque l’on interroge les compagnies d’assurance, elles déclarent que le chien le plus malade, celui qui meurt précocement n’est pas celui qui travaille, contrairement à ce que beaucoup croient (ou font croire). Le même constat est fait avec le chien primitif (celui sur lequel la sélection physique a eu le moins d’impact, celui qui chasse) : il vit mieux et plus longtemps. Lu par exemple sur le site d’Assurmix : « De manière générale, il faut retenir que les chiens de « travail » (ceux utilisés pour garder les troupeaux, chasser, tirer un traîneau, etc.), ainsi que les races de chien anciennes sont plus robustes que les chiens dits « d’agrément », c’est-à-dire les races de chien créées pour tenir compagnie à l’homme. » Quant à Assurances-chiens, la compagnie dresse carrément la liste des races les plus malades. Il est à redouter qu’un jour ces mutuelles en viendront à différencier leurs tarifs selon les types de chiens – travail ou agrément.
Alors, pour nous rassurer, la SCC et la cynophilie internationale, ont considérablement rallongé la liste des tests de santé qu’elle impose aux éleveurs, comme pour apporter la preuve qu’elles sélectionnent des chiens qui ne sont pas malades. Mais, et citons ici Mathieu Mauriès, ingénieur agricole, docteur en zootechnie et sélectionneur de la race du Patou et du bouledogue français « ancien type » : « Sélectionner des chiens qui ne sont pas malades, ce n’est pas la même chose que sélectionner des chiens en bonne santé ». On a oublié que ce n’est pas parce qu’un chien réussit les tests considérés obligatoires par une poignée de personnes, qu’il est en bonne santé. La bonne santé ce n’est pas ça. La bonne santé découle de la rusticité.
>>> LA BONNE SANTÉ, LE SÉSAME DE LA RUSTICITÉ
Il est devenu normal aujourd’hui d’affirmer que le chien de race est « fragile ». Banal aussi de voir des chiens coiffés, brossés chaque jour au mépris de la santé naturelle du poil, aux coussinets roses, doux et proprets, des chiens qui ne savent plus marcher sur autre chose que du béton ou de la pelouse tondue, sans s’irriter ou se blesser. Nous voyons des chiens constamment malades, frileux ou toujours à la peine, par temps chaud ou froid, avec des ossatures et des articulations fragiles, criblés de peurs à n’en plus finir. Ces chiens de « race pure » ont été cédés à leur famille (souvent à prix d’or) avec tant de recommandations, de mesures de prévention et de sécurité, que cela en devient liberticide, et totalement ubuesque.
Ne pas faire courir le chien avant l’âge d’un an au risque que ses os se cassent comme du verre. Ne pas promener le chien plus de quinze minutes par jour car cela épuiserait son coeur. Ne pas donner de friandises au chien car la race devient obèse facilement. Ne pas laisser le chien s’exciter car il s’étouffe. Etc.
Les aberrations sont devenues des normes limitantes autour desquelles les chiens vont essayer de survivre.
??? Est-ce cela que nous voulons pour eux ???
La manière de concevoir l’élevage devrait vraiment être révolutionnée. La quête de rusticité et le retour à l’élevage naturel devrait devenir la priorité. Mais aujourd’hui ces aberrations sont trop souvent la norme : Surprotection des reproducteurs. Évitement de la vie de plein air. Annihilation des aptitudes au travail.Sélection sur la « posture de concours ». Etc.
L’interventionnisme des éleveurs qui se substituent trop souvent à la mère doit s’arrêter. Mais régulièrement, on constatera : Sevrage forcé.Biberonnage quasi-systématique.Cession précoce à l’adoptant. Nourrissage contre nature. Etc.
La distanciation avec l’acte naturel et évident de la reproduction, de la mise-bas et du maternage doit disparaître. Mais on continue ces pratiques contre-nature : Accouplement forcé par maintien de la femelle et/ou soutien du mâle reproducteur.Insémination artificielle des femelles dans les races ne pouvant plus s’accoupler seules.Césarienne systématique des chiennes incapables de mettre au monde des chiots trop gros ou hypercéphales. Mise sous lampe systématique.Etc.
L’hypertype physique ou comportemental poussant à créer des « spécimens » plus que des chiens doit être interdit, en ce qu’il empêche les chiennes de mettre-bas, en ce qu’il fait naître des chiots handicapés et à l’espérance de vie raccourcie, en ce qu’il rend le chien psychologiquement instable. Malheureusement, le courage politique n’est pas au rendez-vous. Au lieu de légiférer et d’imposer des limites strictes et un cadre ferme à ces pratiques destructrices, et par extension, on envisage d’interdire l’élevage de certaines races, à l’instar de la Norvège pour le Cavalier King Charles et le bouledogue anglais. Ainsi, on se demande aujourd’hui s’il ne vaudrait pas mieux provoquer l’extinction de certaines races, plutôt que de s’interroger sur une autre manière de concevoir la sélection.
>>> L’ISSUE POSSIBLE ET SES OBSTACLES
On semble avoir oublié le « bon sens » des éleveurs d’animaux domestiques qui savent depuis des lustres que pour le cheval, le mouton ou le chien, c’est le travail qui garantit la bonne santé, pas la vie de canapé. Nous avons oublié que les races ont toutes été sélectionnées pour l’utilité. Prenons l’exemple du border collie. Si ce chien est aussi intelligent, et s’il fait partie des races les plus rustiques (14-15 ans en moyenne), c’est parce que c’est un chien d’utilité dont l’obtention du pédigrée a longtemps été soumise à des épreuves de travail de conduite de troupeaux. Pour son plus grand malheur, et à l’instar de toutes les autres races, la cynophilie a décidé que ce n’était plus vraiment nécessaire. Et des lignées de border « de beauté » sont désormais sélectionnées sans épreuve de travail. Les chiens sont bleu merles, aux yeux vairons, continuellement stressés par l’absence de mission à accomplir. Des particuliers les achètent parce qu’ils sont beaux et parce qu’ils croient que ces borders-là s’adapteront à une vie sédentaire. Elle les rendra fous, et eux avec.
Nous avons également oublié que les différences géographiques (montagne, mer, plaine, climat, etc.) ont depuis toujours façonnées les morphologies de n’importe quelle espèce de cette planète. C’est élémentaire à toute adaptation. C’est une condition de santé et de robustesse. C’est une loi essentielle de la nature. Mais aujourd’hui, à cause du « standard » encouragé et récompensé, tous les chiens sont identiques à l’intérieur d’une même race, dans toute la France, partout dans le monde. Les seules différences notables sont celles qui feront tomber le chien dans la catégorie « spécimen » de l’hypertype, parce qu’une poignée d’extrémistes aura considéré que c’est tendance.
Alors, dans une dynamique de sauvetage (n’ayons pas peur des mots), et afin de développer la diversité génétique dans les races où elle manque dangereusement (pour la survie de la race elle-même), certains éleveurs ont choisi de pratiquer le croisement contrôlé, un procédé scientifique courant et presqu’ancestral. Ceux-là ne sont pas admis par la SCC qui ne reconnaît pas ce procédé, pourtant légal. Bien que la diversité des couleurs, des particularités, des caractères et des compétences d’utilité aient disparues dans la plupart des races, la SCC refuse l’apport de gènes nouveaux pour lutter contre la raréfaction des pools génétiques. Elle s’oppose ainsi à la diversité génétique. C’est sur ce point précis que nous aurions aimé recueillir son argumentaire. Malheureusement, la SCC a préféré le silence. Il faut dire que la France est, avec l’Italie, le seul pays où la SCC se trouve en situation de monopole total. Elle est la seule à pouvoir délivrer des pédigrées et des certificats « pure race ». Cela signifie que les éleveurs français n’ont pas, comme partout ailleurs, le choix de leur fédération. Et c’est là qu’est logée une grande partie du malheur du chien de race.
Interrogée en 2015 sur sa politique d’amélioration génétique des chiens, la SCC a déclaré au Ministère de l’agriculture que l’amélioration des races de chiens se faisait via 3 leviers : – l’évolution des standards et des grilles de cotation, – la confirmation de l’appartenance à la race, – les récompenses acquises dans les expositions (concours de beauté) et les épreuves de travail.
Il y a de quoi s’inquiéter… Cette situation monopolistique de la SCC demeure un obstacle au développement de nouveaux programmes d’élevage qui par exemple, prôneraient la santé et le comportement stable avant toute autre chose.
Alors, pour certains éleveurs, le recours à la méthode du croisement est devenu une question de survie. Par militantisme, ils ont décidé de se tourner vers une fédération non-officielle, seule concurrente de la SCC : Alliance Française Canine. Nous avons souhaité nous entretenir avec ces professionnels de l’élevage pour comprendre leur travail et leur point de vue. Toutes mes demandes ont été acceptées en toute transparence. Selon eux, le « croisement d’amélioration » pourrait permettre de sauver l’espèce entière. Depuis des années, ils se battent ainsi pour obtenir une reconnaissance étatique qui tarde… Ainsi, pour Enora, qui sélectionne des bouledogues français « ancien type », son travail consiste à faire naître sans interventionnisme des chiots en bonne santé par principe, et non des chiots qui réussissent des « tests de bonne santé », autorisant le monde canin à occulter tout le reste. Elle élève des boulis de ferme, sélectionnés sur leur capacité de travail en plein air, leur robustesse. Quand on connaît la fragilité (devenue normalité) du bouli, on reste perplexe. Mais la réalité c’est que ses femelles mettent bas seules, et naturellement. Ses chiens sont capables de respirer quelle que soit la température extérieure, ou l’activité. Ils s’accouplent sans aide, et vivent sans craindre une chirurgie des narines ou du voile du palais. Ils n’ont pas de perte de contact entre leurs mâchoires inférieure et supérieure. Ils sont sevrés naturellement, nourris au cru, avec os charnus. Des chiens quoi.
? Les fondements et explications scientifiques ?
Le procédé (scientifique, et génétiquement éprouvé) ne date pas d’hier, loin de là. Dans les années 80, le généticien Robert Schaible a conduit une expérimentation sur des dalmatiens pour éliminer un gène récessif responsable de surdité, de problèmes de peau et de calculs urinaires entrainant des décès précoces. Pour ce faire, il réalisa des croisements F1 entre dalmatiens et une race apparentée, le pointer anglais, qui ne porte pas ce gène dans son patrimoine génétique. Les chiens F1 furent croisés à nouveau avec de purs dalmatiens, et ainsi de suite pour leurs descendants. Au bout de cinq générations seulement, il était impossible de distinguer le phénotype des chiens croisés et celui des pures races. Le gène défectueux lui, avait totalement disparu, éliminé de la génétique.
Malheureusement, l’enregistrement au sein des dalmatiens à pedigree, de ces chiens croisés impossible à différencier des pures races, a été refusé car les membres du club américain du dalmatien estimèrent que la « pureté de la race » serait entachée par ce type de chiens. Totalement obsessionnels de la « race pure », ils s’opposèrent au projet. Pour le professeur Patton, généticien à l’Université de Washington, « le club du dalmatien confirme les orientations aberrantes de la cynophilie moderne, qui font endurer un calvaire aux animaux. Ses membres préfèrent voir mourir leurs chiens plutôt que les délivrer d’une maladie héréditaire, alors même qu’il est impossible de distinguer les chiens sains de purs dalmatiens au sens strict du pedigree. »Alliance Française Canine, en la personne de son président, Dominique Desramé, précise que « si un éleveur souhaite bénéficier dans une race, de l’apport d’une race extérieure pour augmenter la variabilité génétique ou obtenir un caractère recherché, il peut recourir au « croisement d’amélioration », sans aller jusqu’au remplacement de la race originelle. Il s’agit de faire un apport temporaire de gènes d’une race extérieure. La principale difficulté consistera à définir clairement ses objectifs et à s’y tenir, faute de quoi ce croisement peut se transformer en création d’une nouvelle race », ce qui n’est absolument pas le but poursuivi.
Imaginons que l’on souhaite améliorer la race du berger australien grâce à celle du border collie, pour lui apporter plus de vitesse et moins de fourrure (exemple). Il faudra sélectionner un berger australien pure race que l’on croisera avec un border collie pure race. Un chiot sera gardé, qui sera donc 50% aussie / 50% border. Ce chiot sera croisé avec un aussie pure race.Un chiot sera gardé, donc 75% aussie / 25% border. Il sera croisé avec un aussie pure race.Un chiot sera gardé, donc 87,5% aussie / 12,5% border. Il sera croisé avec un aussie pure race.Le chiot de la 5ème génération sera 93,75 % aussie, mais son sang a été renouvelé.
Ici, la loi de Mendel impose de bien garder sur chaque portée le chiot qui correspond le plus aux objectifs recherchés, et à le recroiser avec un aussie qui le complètera parfaitement. La pratique est ardue mais possible. Elle demande beaucoup de travail, et s’avère coûteuse. Mais l’apport de sang neuf est bel et bien là pour régénérer la génétique de la race concernée.
Autre témoignage d’éleveur affilié AFC, celui de Mathieu Mauriès : « À travers les croisements que j’ai testés sur ma ferme, mon travail de recherche a démontré que le montagne des Pyrénées pourrait être utilisé pour revitaliser le kangal, dont le pool génétique est réduit en France. De même, le kangal pourrait être lui-même utilisé pour revitaliser le dogue du Tibet dont le pool génétique est encore plus réduit. L’utilisation du patou et du kangal sur le mâtin espagnol moderne donne des chiens très proches du mâtin ancien type, avec les mêmes qualités de travail. Tous les croisements d’amélioration que j’ai testés ont été réalisés entre races de chiens de protection, et c’est logique, de façon à renforcer les aptitudes des uns et des autres. En aucun cas je n’ai cherché à créer une nouvelle race. Au contraire j’ai cherché à remettre de la variabilité génétique dans des populations à la dérive afin de les consolider ».
Autre éleveuse sélectionneuse ayant fait le choix du croisement d’amélioration – Céline – souhaite améliorer les qualités de la race du russkiy toy par le croisement avec la race du ratier de Prague. Le but de ce croisement est d’obtenir chez le russkiy toy une meilleure rusticité des sujets de cette race à poil long. Les sujets, autant ratier que russkiy, peuvent avoir des soucis liés aux petites races (dentition imparfaite et incomplète, en ciseaux inversé, prognathisme, dents de lait extraites sous peine de double dentition, fontanelle partiellement ouverte à l’âge adulte, hernie ombilicale, déformation de la queue, problème de luxation des rotules, pattes fragiles, saillies assistées, insémination artificielle, gestations avortées a tous stades de la grossesse, mises bas difficiles, peu de chiot, césarienne, etc). Pour tenter d’inverser cette triste situation et de rendre de la rusticité au russkiy, un ratier de Prague a été croisé à un russkiy toy en mars 2020, après plusieurs saillies naturelles sans assistance. Elle témoigne : « Les chiots sont nés le 10 mai 2020, 5 chiots, ce qui est une bonne prolificité pour un mini chien, nés naturellement en un temps normal et rapide. Tous les chiots, trois femelles et deux mâles, avaient un poids normal. Ils sont nés vifs, et ont tous tété instinctivement. Les chiots ont grandi harmonieusement sans aucun des défauts précités. Ils ont été placés pour compagnie avec un certificat vétérinaire vierge à l’âge de 3 mois. Deux chiots ont été gardés. Ils sont devenus très rustiques avec une vivacité exemplaire, les dents de lait sont tombées toutes seules. Leur dentition est parfaite. Je n’ai pas encore fait de dépistage pour la luxation des rotules, mais celles-ci semblent également parfaites. La fourrure est dense et brillante. Le résultat est très prometteur, autant du point de vue du type que du caractère. Mes chiens présentent tous les signes d’une rusticité à toute épreuve, malgré leur corpulence de 2,7 kg ».
>>> QUELLES SUITES ? QUEL AVENIR ?
Le rapport ordonné par le Ministre de l’agriculture qui, en grande partie se concentre sur la SCC, laisse perplexe. Il met mal à l’aise. Le document officiel s’interroge clairement sur la pertinence de l’utilité publique de cette institution ayant obtenu sa reconnaissance en 1914 ! Il attire l’attention sur le fait que les statuts n’ont jamais été renouvelés et datent de 1952. Or, toute association française déclarée d’utilité publique (et donc, bénéficiant de subventions de l’Etat) se doit de posséder des statuts récents, validés en Conseil d’Etat. Les termes « oligarchie nuisible », « cumul des fonctions », « manque de transparence financière », « caractère archaïque des statuts » apparaissent dans le document officiel du Ministère dont la conclusion est celle-ci, mot pour mot :
« La SCC, créée en 1882, est caractérisée par une organisation complexe, pyramidale et verrouillée, adossée à des statuts et un règlement intérieur d’un autre âge. Les nouveaux statuts et le nouveau règlement intérieur, votés en 2014, ne lèvent pas ces remarques, pour partie déjà faites dans le rapport COPERCI, rajoutant des instances disciplinaires et maintenant le monopole de zone des sociétés canines régionales. Les modalités d’élection et de renouvellement du Conseil d’administration sont d’une rare complexité pour une association Loi 1901, et on peut remarquer la faible représentativité des éleveurs et des propriétaires dans ce processus. Enfin l’obligation faite aux chiens détenteurs d’un pedigree étranger reconnu par la FCI de passer un examen de confirmation pour être inscrit sur le livre généalogique français pose la question du libre-échange intra-communautaire. Cette association doit absolument évoluer pour rester dans son époque. »
??? Faut-il en rajouter ???
Une pensée unique et un puissant « entre-soi », c’est ce dont il s’agit. Alors que le rapport est motivé par « les critiques récurrentes exprimées par différents acteurs de la filière canine sur le contrôle de la généalogie et l’encadrement de la génétique des carnivores domestiques » et aussi par « l’incapacité du ministère à exercer la tutelle de la SCC et ses difficultés à procéder à une réforme de la génétique canine », celui-ci est resté lettre-morte. Dans ce cadre, la situation nous montre que le chien de race est bien la dernière roue d’un carrosse bien huilé.
Si l’on veut éviter la disparition lente de certaines races, sinon toutes, il serait souhaitable que la relève de demain réagisse, et fasse des choix courageux. Il y a de quoi être effaré de voir certains jeunes éleveurs suivre aveuglement des recommandations obsolètes, et répéter avec véhémence et sans questionnement aucun, la « messe » générale professée sans vergogne, ni contrôle. Pourquoi se laisser formater par un système bien installé qui ne prône pas l’intérêt du chien de race ? Cette obsession du « pure race » est-elle réellement saine et éthique ? Tout dans la nature nous encourage à croiser les sangs. Pourquoi en serait-il autrement pour le chien ? Continuerons-nous à déclarer que nous préférons un beau « pure race » consanguin, malade et instable, plutôt qu’un « chien d’apparence » en pleine forme, et disponible au travail ? Même si le phénotype est identique et qu’il est impossible de distinguer les deux chiens, allons-nous continuer à défendre ce système obsessionnel de la « race pure » ?
Le chien domestique de race se porte mal, et nous en sommes tous responsables. Mais si c’est sur les jeunes éleveurs que repose la sélection de demain, il serait vraiment souhaitable qu’ils se détournent des préconisations d’un autre âge, une intox qui perdure depuis longtemps pour le plus grand malheur de l’espèce canine de race. Le mouvement de tous n’est pas forcément celui à suivre. Pour révolutionner le monde de l’élevage, et apporter réellement une pierre à l’édifice, l’avenir du chien de race doit passer par une refonte plus large du terme « pure race ». Cette définition devra inclure la fonctionnalité au troupeau, à la chasse ou à la compagnie, ainsi que leur reconnaissance en tant qu’êtres vivants sensibles et intelligents. Le travail (ou l’activité) n’est pas une voie à combattre. Il reste la garantie de la rusticité, de l’équilibre mental, de l’épanouissement, tant qu’il n’est pas synonyme d’exploitation ou de saturation. Enfin, dans l’une de ses dernières publications, Alliance Française Canine encourage les éleveurs et particuliers volontaires à écrire au Ministre de l’Agriculture pour lui demander d’agréer plusieurs fédérations (comme c’est le cas dans les autres pays), afin que chaque éleveur puisse choisir celle qui correspond le mieux à ses valeurs, et à ses choix.
Croisez les sangs.
Croisez les sources et l’information.
Et nos chiens seront bien gardés.
Audrey Ventura
Cynoconsult
Tous droits réservés.
Partage autorisé – copie interdite.
SOURCES :
– « The politics of dogs », Mark Derr, revue The Atlantic Magazine,1990.
– Rapport officiel de mission d’expertise n°13093-2
– CGAAER : « Le rôle de l’État dans l’encadrement de la génétique des carnivores domestiques : propositions d’évolution », Ministère de l’agriculture, établi par Francis Geiger, inspecteur général de la santé publique vétérinaire et Marylène Nau, inspectrice générale de la santé publique vétérinaire, mars 2015.
– https://alliance-canine.fr/…/Exemple-croisement-dA-RT.pdf
– https://alliance-canine.fr/croisement-damelioration-ca/
– Article « La retrempe », https://urlz.fr/ksq2 de Michael Comte https://urlz.fr/ksqe
– CHUU podcast, le bouledogue français ou « souffrir pour plaire », numéro 50.
– CHUU podcast, le montagne des Pyrénées, protecteur de troupeaux, numéro 65.
– 20 Minutes, Faut-il interdire l’élevage de Cavaliers King Charles et de Bouledogues français, https://urlz.fr/kMV9 , février 2023.
– « Le chien, cet animal qui nous échappe », Audrey Ventura, 2020. Cynoconsult ici : https://bit.ly/3t0W9ED
– Dans la tête du Border collie, Elsa Weiss, 2021. CynopolisAlliance Française CanineElevage d’EEM & Enorando
– Élevage de bouledogue français ancien type.Céline Guillon Russkiy Toy
– Élevage de Russkiy ToyMathieu Mauries
– Élevage du Hogan des Vents (Montagne des Pyrénées et bouledogue français « ancien type »).